Des voyages

Être là, puis de nouveau ailleurs, s’emporter là bas, pour mieux revenir ici.

C’est curieux tout de même cette bougeotte, cette envie ou cette obligation qu’ont les uns et les autres de partir et de revenir, de ne jamais tenir en place. C’est ce qu’était en train de se dire Robert lorsqu’il regardait autour de lui l’incessant va et vient des voyageurs. Ce ballet ininterrompu de départs et d’arrivées, cette musique presque discordante provoquée par toutes ces langues parlées qui se mêlent, la lumière crue des néons et l’architecture futuriste du bâtiment, tout lui semblait faire partie d’un autre monde.

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Tarmac, Carthagena, Colombie. 2013 © Vanessa Rousselle

Pourtant c’était bien son quotidien. Robert travaillait à l’aéroport comme agent de sécurité. Il était toujours émerveillé de voir tous ces destins, toutes ces histoires de tous ces êtres, uniques, se croiser par milliers chaque jour dans cet aéroport. Il s’imaginait leur vie, se demandait à quoi pouvait bien ressembler une vie passée dans les airs et loin de chez soi, lui qui avait si peu voyagé. Il retirait quelques indices pour nourrir son imagination lorsqu’il était amené à ouvrir un bagage, un sac ou une pochette, pour en vérifier le contenu.

Robert avait grandi en banlieue parisienne, à quelques kilomètres de là. Sa famille était originaire du nord de la France, de la Picardie plus exactement. Son père était venu en ville pour travailler comme ouvrier après avoir perdu son emploi à la ferme. Sa mère avait suivi et il était né là, dans cette banlieue grise. Il était l’aîné de la famille. Ses deux sœurs avaient suivi des études. Il avait insisté pour cela. Il avait commencé jeune adolescent à travailler pour aider ses parents à joindre les deux bouts. Il tannait régulièrement ses sœurs, qui étaient plus jeunes que lui de 10 et 12 ans, pour qu’elles soient de bonnes élèves, qu’elles suivent bien à l’école. Il n’avait pas eu cette chance, ses parents étant trop occupés à faire tout leur possible pour maintenir le foyer et gagner leur vie. Oh! Ses parents étaient bien convaincus des bienfaits et de l’importance de l’éducation, mais leur mode de vie faisait que Robert devait d’auto discipliner, s’astreindre à faire ses devoirs. Et Robert n’était pas du genre à d’auto-discipliner. A ce moment là du moins. Il faisait les quatre cent coups avec les copains du quartier, il s’en fichait bien de l’école. Et puis il se disait qu’il n’était pas fait pour les études. Alors puisque Robert ne s’était pas auto-discipliné, il a discipliné ses sœurs. Toujours sur leur dos: où sont tes notes, as tu fait devoirs, montre moi ton cahier. Et ses sœurs lui étaient reconnaissantes de cette attention qui leur avait permis d’aller jusqu’au bac et même à l’université.

Robert était un garçon simple, qui malgré son manque d’éducation scolaire était toujours curieux, à l’affût de nouvelles découvertes. Surtout, il aimait l’histoire et la géographie. Petit, il jouait avec ses soldats de plomb, reconstituait les batailles. Des fois, il avait bien envie de prendre les robes de sa mère pour reconstituer une scène du Moyen âge ou de la première guerre mondiale, peu importe. Ou alors, il regardait le globe terrestre que ses parents lui avaient offert pour Noël. Il était toujours émerveillé lorsqu’il regardait ce globe. Il imaginait alors le monde. Lorsqu’il se couchait sur le côté et regardait le cône d’Amérique du sud, il lui semblait voir la tête d’un canard (les États Unis formant le corps et l’Amérique centrale le cou).

Il regardait les pays et se demandait comment vivaient les enfants de son âge dans ces contrées. Surinam, Afrique du Sud, Japon, Corée, Lituanie, Pologne, URSS (Robert était assez vieux pour avoir été enfant lorsque l’URSS était encore un pays)… A quoi ressemblait la vie là bas? Qu’est-ce qu’on y mange? Est-ce que les enfants vont à l’école aussi ? Il doit y faire froid… Mais froid comment ? Personne pour répondre à ses questions mais il restait curieux.

Il n’a pourtant jamais voyagé. Seulement par l’esprit. Ils allaient en vacances à Berck sur mer, sur la côte du nord de la France. Cela permettait de passer chez les grands parents en y allant, d’aller voir les cousins. Puis d’aller voir la mer. Enfin, pas tous les ans.

Robert voyageait dans le temps comme les autres voyageaient dans l’espace. En prenant sa pause ce jour là à l’aéroport, en voyant ce ballet incessant, lui retournait dans ses souvenirs, se revoyait petit et se disait que lui aussi voyageait finalement.

Pour Florence,

Vanessa Rousselle, décembre 2013

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